C'est en effet ce que relève une récente étude de l'Observatoire paritaire de la branche BETIC (OPIIEC) qui a analysé les conséquences des évolutions de la commande publique sur l’offre d’ingénierie privée. Alors que l’enquête menée par l'OPIIEC en 2015 anticipait une chute de l’investissement public, cette récente enquête réalisée en janvier 2023 auprès de 200 acteurs de l’ingénierie territoriale, incluant les maîtres d’ouvrage publics et le Cerema, révèle au contraire que les collectivités territoriales ont inversé la tendance en sollicitant toutes les formes d’ingénierie pour accompagner des projets de transformation d’envergure. Parallèlement, des entretiens réalisés avec des bureaux d’études privés en régions confirment la stratégie de rapprochement entre l’ingénierie privée et publique, initiée par la Fédération Cinov depuis 2022.
Une dynamique d’investissement public portée par les collectivités territoriales malgré les contraintes budgétaires
Les mouvements de décentralisation et les plans de soutien successifs ont renforcé le poids des collectivités territoriales dans l’investissement public national (89 Mds d’euros en 2019, INSEE 2022). Aujourd’hui, les régions, les départements et les communes représentent les principaux investisseurs, contribuant à hauteur de 50%.
Malgré un contexte de rigueur budgétaire, cette reprise de la logique d’investissement depuis 2016 correspond également à une prise de conscience de l’urgence écologique dans les politiques publiques. Les collectivités territoriales, dotées de compétences en matière d’infrastructures et d’aménagement, priorisent ainsi les travaux de modernisation et de réhabilitation, au détriment de la construction de nouveaux ouvrages.
Ce contexte est très favorable pour le secteur de l’ingénierie, qui est sensible aux évolutions de la commande publique. En 2022, les marchés publics d’ingénierie pèsent plus de 11 milliards d’euros (Baromètre de la commande publique, Banque des territoires).
Une répartition des rôles visibles et opportunes dans les territoires, entre l’ingénierie publique et concurrentielle
Bien que 85 % des clients publics se disent satisfaits des services de l’ingénierie privée, les collectivités mobilisent leurs compétences internes ainsi que les structures d’ingénierie (para)publiques dans les phases amont des projets. Le recours à des bureaux d’études privés intervient dans un second temps, et se concentre davantage sur les missions de maîtrise d'œuvre et d’assistance à maîtrise d’ouvrage en étude de faisabilité.
Cependant, l’ingénierie privée peut régulièrement faire face à la concurrence des ingénieries départementales, telles que les Agences Technique Départementales, les régies départementales, les SPL ou les SEM, qui interviennent dans les phases de conception et de suivi de réalisation des projets.
Une approche qualitative de l’investissement s’inscrivant dans des enjeux environnementaux et sociaux
Selon l’étude, les acheteurs publics interrogés anticipent une croissance des investissements dans les secteurs des infrastructures de transport (49%), les bâtiments administratifs (44%) et les bâtiments pour l’éducation (39%). Cette orientation des investissements correspond à l’accélération des politiques publiques de rénovation et de réhabilitation du parc existant.
Pour atteindre cet objectif ambitieux, les collectivités territoriales privilégieront l’expertise de l’ingénierie privée en matière de performance énergétique, d’accessibilité et de modernisation. Cette tendance est déjà visible au premier semestre 2022, où les montants alloués à la rénovation étaient supérieurs de 42% aux montants alloués aux nouvelles constructions.
Les enjeux futurs pour la commande publique et ses conséquences sur les métiers de l’ingénierie
En décryptant les évolutions à venir de la commande publique, l’étude menée par l’OPIIEC exhorte les bureaux d’études d’ingénierie à adapter leur offre et à renforcer leurs compétences.
Les professionnels de l’ingénierie privée devront désormais privilégier les missions d’études de faisabilité, de maîtrise d'œuvre et de réhabilitation à haute performance environnementale. En effet, les acheteurs publics ont développé en interne des compétences de suivi de projets et ont structuré une ingénierie locale, à travers de régies ou de sociétés publiques locales.
Par ailleurs, les enjeux environnementaux exigent de nouvelles compétences décisionnelles qui impactent l’activité des ingénieries, parmi lesquelles figurent l’anticipation de l’empreinte carbone, l’analyse des risques environnementaux et l’évaluation de l’impact financier lié à ces enjeux.
L’étude démontre enfin que les collectivités territoriales sont les premières à bénéficier de la complémentarité entre l'ingénierie publique et privée. Cette synergie favorise déjà l’émergence de projets ambitieux pour construire un avenir plus durable, prospère et résilient pour les territoires.