Comment construire mieux et moins cher ? Trois solutions pour sortir de la crise
03 décembre 2024Le 28 novembre 2024 s’est tenu le colloque de Cinovaction sur « Comment construire mieux et moins cher ? ». Trois tables rondes ont permis de réfléchir à trois solutions proposées par la Fédération Cinov.
« Quand le bâtiment va, tout va »
Frédéric Lafage, Président de la Fédération Cinov, a introduit ce colloque en déclarant qu’il est possible d’appliquer au logement la règle darwinienne : « Soit on s'adapte, soit on disparaît ! » Il faut donc, en urgence, construire mieux. À cette fin, le Think Tank Cinovaction travaille depuis deux ans sur deux axes majeurs : placer l'humain au centre de la réflexion et créer une bulle de confiance entre les acteurs. Ce colloque avait donc pour objectif d’aller au-delà de l’expérimentation pour entrer dans une phase plus opérationnelle.
Anne d’Orazio, Directrice de l’ENSA de Paris-La-Villette, co-directrice de la chaire « le logement de demain », retient, quant à elle, la dimension polémique de ce qui se joue autour de la valeur du logement. La dimension polysémique du logement est utilisée par les divers acteurs, à commencer par les politiques. La valeur économique du secteur de la construction, et plus spécifiquement du poids du logement dans ce secteur, doit être questionnée sur ce qu’elle fonde dans l’économie nationale, notamment lorsque la production chute (-8 % en 2024). L’adage du XVIIIe siècle « quand le bâtiment va, tout va » est un fondement des politiques publiques encore jusqu’à aujourd’hui. C’est seulement depuis les années 1960 que le logement entre progressivement dans les intérêts privés avec un objectif d’accès à la propriété des ménages. Il atteindra 55 % au début des années 2000, sans évolution depuis lors. En revanche, l’utilité du bien, et donc sa qualité, sont encore à leurs débuts : depuis 30 ans, les études montrent une dégradation des ressentis des Français dans leur logement. Pourtant depuis le XXIe siècle, il y a plusieurs initiatives pour remettre l’habitant au cœur des débats.
De la programmation à l'exploitation : comment placer l’usager au centre des préoccupations ?
Les professionnels du bâtiment ont toujours souhaité répondre aux besoins de leurs clients. Néanmoins, progressivement, la conception même du logement a pris un temps de plus en plus conséquent, éloignant de plus en plus les acteurs de la construction des usagers. Il devient donc nécessaire de consacrer à nouveau du temps à la personne qui va habiter dans le bâti, à ses besoins, à ses usages.
Finalement, parler de l’usage c’est parler de ce qui est cher à l’individu. Habiter, c’est s’investir dans son logement : bricoler, aménager, décorer… Si les modifications sont impossibles, il y a un manque d’appropriation de l’usager. Dès lors, le logement doit permettre de garder un degré de liberté, notamment au regard des évolutions des usages : les fenêtres, les pans de murs, les prises électriques… Sans ces marges de manœuvre, l’aménagement est contraint et l’émotion dominante devient la tristesse.
Le logement de demain va reposer sur deux piliers :
- Trouver les espaces à partager, à co-concevoir avec les promoteurs, les habitants, les bailleurs, les collectivités (local à vélos, façades…) et permettre des évolutions une fois que les habitants vont faire vivre le bâti.
- Trouver les solutions qui permettront de faire évoluer chaque logement individuel en fonction de la vie de ses occupants, par exemple avec des structures plus flexibles.
Les usagers vont ainsi trouver une plus grande valeur à leur logement. En contrepartie, le coût de la conception-construction pourra difficilement diminuer pour tenir à la fois les obligations et les exigences des usagers. En effet, malgré les grandes innovations techniques dans le bâtiment, l’ingénierie financière a peu évolué, rendant l’accès à la propriété toujours plus compliqué.
Construire demain : l’inévitable approche collaborative
Dans l’objectif d’améliorer la qualité des constructions face aux défis et aux attentes centrées sur l’usage, tous les acteurs s’accordent sur l’importance de leur collaboration et la nécessité d’une approche cohérente et transversale.
Le décloisonnement des pratiques est possible si l’on considère que chaque acteur fait bien partie d’une même chaîne entre la conception et la réalisation. Il faut ensuite réussir à dépasser ses intérêts propres pour collaborer autour du projet commun. Progressivement, chacun sera en mesure de comprendre les besoins des uns et des autres afin de travailler à l’innovation de façon coordonnée. Pour réussir, il faudra néanmoins que chacun soit également capable de mettre sur la table les moyens de coopérer tant en termes financiers qu’en termes de temps, à commencer par le maître d’ouvrage. À noter que la conception des projets se complexifie au-delà de la simple prise en compte des usagers, avec la diversité des enjeux à prendre en compte. Ainsi, aujourd’hui, la conception doit considérer le réemploi, à savoir le démontage dans des conditions permettant le maintien de la qualité du produit pour son usage en seconde main.
Comment repenser le partage des risques entre les acteurs ?
De l’aspect humain à l’aspect financier les risques sont multiples. Dans un esprit de collaboration, il s’agit donc de réfléchir au partage des responsabilités et non plus celui de minimiser son propre risque. Dans le cas contraire, c’est le consommateur final qui porte le risque.
Les réglementations ont progressivement forcé les architectes à discuter en amont des projets avec les ingénieurs, en incluant de plus en plus le maître d’ouvrage. Les questions de transition écologique concourent également à cette coopération. L’analyse de l’exposition aux risques révèle également une différence de répartition selon l’axe choisi. En termes financiers, il y a par exemple débat entre le plus solvable (le maître d’ouvrage) qui serait le plus exposé et les moins rémunérés (le maître d’œuvre et l’architecte) qui porteraient le plus de risques. En termes de résultats, les architectes sont particulièrement exposés, notamment car ils ne choisissent pas tous les prestataires de la chaîne de construction. À noter par ailleurs que de nouveaux risques apparaissent ces dernières années, avec par exemple l’arrivée de nouveaux matériaux, considérés plus vertueux en termes écologiques mais pas encore assez éprouvés pour qualifier les risques associés à leur utilisation.
Les enseignements de ce colloque
Ce colloque a permis de s’interroger sur les conditions de la confiance entre les acteurs des projets dans le secteur du logement. Finalement, si tous partagent une même ambition commune, des axes de collaboration pourront plus facilement se dégager. Se parler, partager, connaître l’autre sur l’ensemble de la chaîne est un engagement réalisable si chacun sort de son pré carré et intègre individuellement le projet commun. Cette chaîne de coopération donne à tous le pouvoir d’agir en mobilisant les moyens financiers, humains et techniques.
La Fédération Cinov a pour ambition de donner une suite à ce colloque, en continuant de proposer à tous les acteurs des temps d’échanges comme celui-ci, afin de leur permettre d’identifier les facteurs bloquants pour mieux les dépasser et créer les conditions d’une bulle de confiance. Il pourrait ainsi être envisagé de créer un collectif de travail sur la base du volontariat pour diffuser les bonnes pratiques dans l’ensemble des professions concernées.