Les Agit’Acteurs - L’Intelligence Artificielle et les métiers de demain : repenser l’équilibre entre machine et humain
02 décembre 2024Le 19 novembre, l’Espace Cléry a été le théâtre de la troisième édition des Agit’Acteurs, événement phare consacré à la réflexion sur l’avenir des métiers de la branche BETIC. Acteurs du secteur, philosophes et experts en neurosciences se sont réunis pour échanger autour de l’Intelligence Artificielle Générative, ses opportunités, ses limites et ce qui la distingue de l’intelligence humaine.
L’IA, désormais omniprésente dans nos vies et nos métiers, divise. Tandis que certains y voient une révolution technologique capable de transformer nos pratiques, d’autres insistent plutôt sur la nécessité de préserver ce qui fait la singularité de l’humain. Cette tension a rythmé les discussions de la soirée, articulées autour de deux temps forts : une keynote du philosophe Raphaël Enthoven, interrogeant ce qui distingue fondamentalement l’intelligence humaine de celle des machines, et une table ronde réunissant des experts tels que Bernard Benhamou (Secrétaire Général, Institut de la souveraineté numérique), Michel Sixou (Docteur en neurosciences), Julien Mercier (Vice-président à l’innovation de la Fédération Cinov), et Joël Riou (Président, Directeur Général, Responsage).
Retour sur une soirée riche en idées et perspectives.
“Quand l’IA calcule, l’humain s’émerveille”
Raphaël Enthoven a livré une réflexion essentielle : ce qui distingue l’humain de la machine, c’est sa capacité unique à s’étonner. Selon Aristote, l’étonnement est cette capacité humaine qui pose un regard neuf sur le familier. La capacité de se défaire de l’habitude pour redécouvrir le monde avec des yeux neufs est propre à l’humain.
L’intelligence artificielle, aussi performante soit-elle, ne s’étonne pas. Elle assimile les données, les organise mais n'interroge jamais leur essence ou leur pertinence.
Face à une peinture, une IA peut identifier des éléments, reconnaître des styles ou même attribuer une valeur basée sur des critères objectifs. L’humain, lui, peut se perdre dans l’émotion qu’elle suscite et découvrir dans cet émerveillement des idées nouvelles, des connexions inattendues.
Selon Bernard Benhamou “l’IA hallucine, elle est incapable de comprendre réellement les données qu’elle traite”. Avec des réponses souvent plausibles mais déconnectées de la réalité, son fonctionnement repose sur des modèles statistiques et non sur une véritable compréhension ou intentionnalité.
La puissance de l’IA est donc dans sa capacité à accompagner l’humain, jamais à le remplacer. Car ce qui fait notre singularité, c’est précisément ce qui ne se mesure pas : notre capacité à nous étonner du monde et à en faire émerger du sens.
L’IA face aux enjeux éthiques : protéger la vérité, la souveraineté et la créativité
L’incapacité de l’intelligence artificielle à discerner et à réfléchir préoccupe, notamment en matière de désinformation. Les IA génératives, capables de créer des images, vidéos ou textes, peuvent facilement être utilisées pour diffuser de fausses informations ou manipuler l’opinion publique. Ces contenus, difficiles à distinguer du réel, menacent la vérité et la confiance dans nos sociétés.
Un autre défi fondamental réside dans la dépendance technologique. Comme l’a rappelé Bernard Benhamou, Secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique, l'Europe doit impérativement éviter de devenir tributaires de technologies développées hors de leurs frontières, notamment aux États-Unis et en Chine. Une telle dépendance compromettrait leur souveraineté numérique. La déclaration de Vladimir Poutine a renforcé cette idée: "L’IA représente l’avenir pour l’humanité tout entière. La nation qui sera leader dans le domaine de l’IA dominera le monde." Ces propos soulignent l’urgence de développer une expertise solide sur des technologies en constante évolution.
Enfin, l’impact de l’IA sur le travail humain soulève des interrogations cruciales. Si ces technologies peuvent automatiser de nombreuses tâches, elles risquent également de dévaloriser des compétences humaines fondamentales. En particulier dans des métiers où l’expérience, la créativité et l’intuition jouent un rôle clé – comme ceux représentés au sein de la Fédération. Julien Mercier, vice-président à l’innovation de la Fédération Cinov a alerté sur les effets potentiellement uniformisants des plateformes collaboratives reposant sur l’IA. En standardisant certaines pratiques, ces outils pourraient appauvrir la richesse intrinsèque de nombreuses professions. Pourtant, l’innovation humaine doit rester une priorité face à l’automatisation.
Transformer le travail grâce à l’IA : opportunités, formations et éthique
Malgré ses limites et ses risques, l’intelligence artificielle offre des opportunités considérables pour améliorer notre quotidien et renforcer la valeur ajoutée de nombreux métiers. En libérant l’humain des tâches répétitives et chronophages, elle permet de recentrer les efforts sur des missions plus complexes et utiles. Joël Riou, PDG de Responsage illustre bien cette idée dans le domaine social où l’automatisation des processus administratifs permet aux professionnels de se consacrer pleinement à l’accompagnement des personnes. Ainsi, l’IA devient un levier puissant pour renforcer la productivité humaine.
Cette synergie entre humain et IA ouvre des perspectives inédites dans tous les secteurs. En ingénierie, l’automatisation accélère les processus complexes et réduit les marges d’erreur, tout en offrant plus de temps pour des tâches stratégiques et créatives. Cependant, cette complémentarité demande de repenser nos pratiques professionnelles. Comme l’a souligné Julien Mercier, la formation continue des salariés est essentielle pour leur permettre de s’approprier ces outils et de les intégrer efficacement à leurs activités. “70% du temps de travail va disparaître avec l’IA. Il est donc essentiel de former les salariés à ces changements et les faire travailler d'une nouvelle façon en intégrant l'IA aux processus”.
Pour Michel Sixou, docteur en neuroscience, “L’IA permet d’amplifier le potentiel humain”. Ce dernier repose sur des qualités uniques que les machines ne peuvent imiter : créativité, intuition, empathie et capacité à donner du sens. Il est donc impératif de valoriser ces compétences humaines et de veiller à ce que l’IA ne les éclipse jamais.
Pour garantir un futur harmonieux, il est également nécessaire de définir les limites du rôle de l’IA. Les machines ne doivent pas devenir des arbitres de décisions humaines, en particulier dans des domaines sensibles comme la justice, l’éducation ou la santé. Bernard Benhamou rappelle à cet égard l’importance d’une politique industrielle et numérique ambitieuse, essentielle pour orienter le développement de l’IA dans le respect des valeurs humaines. L’IA doit donc rester un outil au service de l’humain, et non l’inverse.
L’intelligence Artificielle reste donc un outil formidable pour élargir les capacités humaines, mais elle ne doit jamais supplanter ce qui fait notre essence : la capacité à s’émerveiller, à questionner le monde et à créer. Trouver un équilibre entre ces deux formes d’intelligence est donc indispensable pour avancer dans un cadre plus éthique. Et c’est précisément cet équilibre, entre raison et émerveillement, qui dessinera les contours d’un futur où technologie et humanité pourront avancer de pair en s’enrichissant mutuellement.